Amitié, graphisme y fiesta !

Les affiches de graphistes argentins, brésiliens, mexicains, (un peu français aussi parfois) ont quitté les rues et les ateliers de l’Amérique Latine pour s’exposer à Paris. Les murs de la prestigieuse Maison d’Amérique Latine se sont à cette occasion parés de couleurs, une par pays. Ils accueillent l’exposition Fiesta Gráfica, visible gratuitement jusqu’au 7 mai. Cette dernière est en réalité l’expression synthétique d’un long récit qui mêle des trajectoires professionnelles et personnelles, des rendez-vous graphiques, un certain goût du voyage, des allers-retours entre la France et le continent hispanophone.

Une constellation de rencontres

Dans le catalogue de l’exposition, Daniel Lefort¹ résume : « La vocation de Michel Bouvet pour l’affiche culturelle n’a d’égal que sa passion des voyages. » Avant même de commencer à étudier à l’école Beaux-Arts, le graphiste français part explorer le continent américain et pousse l’escapade jusqu’au Mexique. C’est ensuite professionnellement qu’il découvrira le continent. Invité à animer des workshops ou des conférences, il n’oubliera toutefois pas de s’échapper de temps à autre, pour aller voir battre la vie latine de ses propres yeux. Au gré de ses voyages, mais aussi à Paris, ou lors de biennales de graphisme à travers le monde, il a rencontré plusieurs créatifs d’Amérique Latine qui lui ont raconté leur pratique du métier, leurs aspirations. Petit à petit, des liens d’amitié se sont créés.

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Près de 30 ans après sa première aventure graphique à Montevideo (voir ci-après), Michel Bouvet est invité par la Maison de l’Amérique Latine à proposer un regard sur le graphisme du continent qu’elle représente. Il choisit de célébrer ceux qui le lui ont fait découvrir. Il expose donc 26 artistes, à côté de ses travaux. Ces derniers, présentés parfois outre-atlantique, ont pu être le point de départ de certaines rencontres. Mono Grinbaum, Celeste Prieto, par exemple, ont profité de leur curiosité pour aborder Michel après une conférence, ou un workshop. Celui-ci a également invité en France des artistes dont il a découvert le travail avant de les rencontrer en personne. C’est le cas de Natalia Iguiñiz Bodio, exposée lors du Mois du graphisme d’Echirolles en 2012, ou Atolón de Mororoa, exposé à Fiesta Gràffica.

Que se passe t’il de l’autre côté de l’Atlantique ?

Qui connait vraiment l’histoire ou l’actualité du Chili ou de l’Argentine ? Des échos évoquent Bolsonaro et les migrations mexicaines. La Bolivie se prépare à de nouvelles élections et Guaidó creuse son nid au Venezuela. Pourquoi parler de tout cela ? Car le graphisme est intimement lié à son contexte historique, économique, social et politique. Les commandes en dépendent, les moyens matériels également. Les sujets illustrés ou représentés sur les affiches reflètent des problématiques contemporaines. Chaque graphiste valorise dans son travail son pays autant qu’il questionne, de façon plus ou moins explicite, ses enjeux.

Transmettre une mythologie graphique

Germán Montalvo

Les artistes s’inspirent de signes ancestraux, primitifs et de traditions séculaires. Jorge Dr. Alderete, chanteur de rap évolue dans la culture underground et musicale. Pour un concert du groupe Lost Acapulco, il ose un remake punk de la Vierge à l’enfant. Mais Jésus devient un chien à tête humaine, qui rappelle le xoloiitzcuintle, un animal hybride et ancestral.

Germán Montalvo, qui désigne « l’affiche comme un poème », modernise pour un festival de vidéos d’art, un guerrier toltèque (image ci-dessus). Quant à la cubaine Giselle Monzón, elle révèle par un sublime jeu de couleur, la paysanne andine d’un pays voisin, la Bolivie. Celeste Prieto et Benito Cabañas, mexicains, s’emparent du caractère festif donné au Jour des Morts. Pour la loterie de Mexico et pour un festival magique autour des festivités de Toussaint, ils parent de fleurs des crânes et de vieux os.

S’impliquer localement

Bebel Books

Les graphistes représentés dans l’exposition Fiesta Gráfica s’investissent dans des workshops, des conférences, dans l’organisation de biennales et de festivals, ou sont professeurs. Ainsi se développent le design et la connaissance des pratiques graphiques d’hier et d’aujourd’hui. À l’échelle des territoires, leurs engagements permettent de diffuser la culture, d’inviter à plus de démocratie, à penser écologique, ou à vivre des expériences participatives autour de l’art. Leur travail fait également rayonner leur pays à l’international.

Influencée par ses études en Europe (aux Arts-Décos de Paris, et à la Saint Martins de Londres), Marta Granados glisse dans ses affiches des messages positifs. Antanas Mockus, maire de Bogóta lui confia, au cours de ses deux mandats, des campagnes éducatives visant à développer le civisme. Il assure : « Ses projets ont contribué à la la protection de la vie, le respect volontaire des normes … pour construire une harmonie entre droit et culture … C’est un travail assuré en soi « ² Dans le cadre de ses travaux de recherche, puis pour le ministère des relations extérieures, Marta a conçu une série « La Colombie, c’est … ». La force, l’eau, la musique, la flore, la faune, l’espoir, la liberté, complètent la phrase…

Bebel Abreu milite double : pour l’édition indépendante et pour la liberté. Sa maison Bebel Books (image ci-dessous) publie, entre autres, des nouvelles érotiques illustrées et des fanzines. Les illustrateurs brésiliens ont carte blanche.

Plus au Nord, une autre femme œuvre pour faire vivre l’édition et le graphisme. À Cuba, Idania del Rio, fait vivre Clandestina. Aux côtés de Leire Fernández, elle entend promouvoir le design cubain. L’atelier protéiforme conçoit notamment des objets et des vêtements à partir de matériaux recyclés.

Symbole de son engagement social, Pablo Iturralde s’est impliqué dans le projet Tricolor en Llamas (Tricolore en flammes), dont il a conçu l’affiche. Elle montre une silhouette noire tenant un drapeau équatorien en flammes. L’évènement prend la forme d’un débat national sur les signes graphiques (mais pas que) de l’Équateur. L’objectif est ensuite de produire un catalogue harmonieux de visuels qui symbolisent l’identité pleine et multiple du pays. Ils seront utilisés dans l’espace public, dans les institutions, sur la monnaie…

Par ailleurs, Onaire a mis au point un procédé de graphisme participatif, nommé Ragout graphique. Par cette méthode,les cinq artistes du collectif amènent les participants des universités, des écoles, des hôpitaux et des prisons dans lesquels ils interviennent, à participer. Ceux-ci apportent leur geste graphique, afin de composer des affiches qui convoquent des thèmes de société (la démocratie, le droit des femmes, la question du genre…) et deviennent ainsi support de débat.

S’engager pour plus de liberté et de droits

Nombreux sont ceux qui parmi les créatifs de Fiesta Gráfica portent des revendications de liberté. Natalia Iguiñiz Boggio sérigraphie les affiches qui, au Pérou, réclament des élections transparentes et militent pour les droits des travailleurs.

Des images minimalistes suffisent parfois à exprimer puissamment un message. En 2007 déjà, Pablo Iturralde dessine une empreinte de pied se colorant de rouge une fois la frontière passée, légendée d’une ligne de texte : « Americain dream ». Chez Germán Montalvo, le pied est une simple silhouette noire, dont un orteil se transforme en bouche criant un message similaire : « Freedom Manifesto, l’Humanité en mouvement ».

Utiliser les savoirs faire artisanaux et manuels

Rico Lins

Si l’ordinateur a bien évidemment sa place sur les bureaux des ateliers, il est essentiel pour Marta Granados comme pour Benito Cabañas de débuter tout projet par des esquisses manuelles. La sérigraphie est également une manière habituelle d’imprimer les projets.

De son côté, Rico Lins s’empare du letter press. Concevant l’affiche d’une exposition à Florence (ci-dessus) le brésilien opte pour une composition uniquement typographique. Il joue de caractères apposés en horizontal ou à la verticale. Il expérimente les dégradés d’encre, et ajoute des signes graphiques, une étoile, une main. Convaincu par le style, qui rappelle les impressions à la mano et les affiches populaires du 20e siècle, il réutilise la technique, qu’il mixe à l’occasion avec des photographies.

Chez El Fantasma de Heredia et Mono Grinbaum, la typo vient s’écrire à la main. Les réalisations d’Atolón de Mororoa, de Theo Contestin ou d’Alejandro Magallanes sont souvent dessinées. Le dernier, mexicain, alterne et associe les techniques : dessin, collage, acrylique, photographie, sculpture. Ses posters dressent un univers qui emprunte à l’enfance, avec une grande place accordée à l’illustration et la mise en scène de personnages sculptés, comme un diable plusieurs fois présent dans son travail, comme dans les légendes mexicaines.

Promouvoir la culture

Kiko Farkas

Les commandes culturelles font la joie des graphistes. À Cuba, aucune affiche originale de film n’a été aperçue jusqu’à il y a quelques années. Formidable opportunité pour les peintres de l’île, qui illustrent en un poster un long-métrage. Aujourd’hui, la tradition des affiches dessinées se perpétue. Giselle Monzón fait s’envoler des papillons sur celle du film Insoumises, avec Sylvie Testud ou multiplie les roues de vélo pour Le voleur de bicyclettes de Vittorio de Sica.

Kiko Farkas se distingue par son travail pour le théâtre et de l’opéra. Aïda, opéra de Verdi, l’histoire se déroule au Caire : il appose sur un sphinx une série de pyramides en aplat (ci-dessus). L’aplat à nouveau sculpte la silhouette d’une chaise, sur un parterre de fleurs colorées à la manière des motifs des kaléidoscopes, cette fois-ci c’est une affiche promouvant l’Orchestre de São Paulo. Et les lettres de Tosca, la cantatrice de Puccini, se lient par un jeu typographique à partir de lignes répétées.

Typo partout, par tous, pour tous

À défaut de moyens parfois, le graphisme s’en passe. Les murs des villes sont alors comme des toiles à ciel ouvert. Les peintres en lettre sont légion, esquissant le nom d’un bar, listant les boissons qu’il propose à même le mur. Revendications politiques, messages insolites ou promotions s’effaceront en un coup de pinceau pour être bientôt remplacés par d’autres. Lors de ses pérégrinations sur le continent Michel Bouvet a tenté de saisir ces Typographies Parallèles. Ses photographies montrent une accumulation de publicités à l’entrée d’une épicerie, des enseignes en grand, des caractères en pochade le long des rues.

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L’affiche en ville prend toute son ampleur, et les métropoles latino-américaines, comme les plus petites localité, sont le récit au présent d’un continent en mouvement. Pour explorer la capitale argentine, Michel Bouvet n’aurait pu espérer meilleur guide que Theo Contestin. Tous deux passeront des heures et des heures en ville, et le second en tirera le court-métrage Buenos Aires, portait d’une mégalopole, témoignage nerveux d’une ville qui ne semble jamais dormir.

30 ans de relations avec l’Amérique latine

Évidemment, et peut-être logiquement pour un affichiste, tout commence, ici à nouveau… par une affiche. Nous sommes en 1991, Michel Bouvet a 36 ans et vient de recevoir une commande émise d’un autre continent. Las Bodas de Figaro, (les noces de Figaro), opéra de Mozart inspiré de l’écrit de Beaumarchais, va être pour la première fois représentée en Uruguay. Le graphiste se voit confier la réalisation de l’affiche. Daniel Lefort, qui eut un rôle clef dans cette première collaboration raconte l’effet qu’elle généra :

« Soudain, elle était là : ce fut comme une apparition. Je revois encore l’étonnement, l’incrédulité même, sur le visage des messieurs de la société Pro Opéra (les commanditaires, ndlr) qu’éclairait la tendre lumière de l’affiche étalée sur la table. (…) le blaireau d’or habillé d’une robe de mariée sur un fond blanc bleuté – blanc grisé – diffusait une douce chaleur (…). Dire qu’ils ont fait peu de commentaires serait une exagération (…) leur silence avait pris toute l’épaisseur de leur incompréhension. (…) Et l’effet s’est produit. Les colleurs d’affiche (…) avaient placardé las Bodas en diable à la faveur de la nuit. (…) Le symbole était clair, les deux mots du titre en fournissaient la clé : le blaireau avec son geyser de poils drus figurait Figaro, le barbier de Séville -bien qu’il soit valet de chambre dans l’opéra-, la robe blanche de la mariée exécutait sa girondation onduleuse au rythme bondissant de la musique de Mozart. (…) ».³

L’entrée sur le sol latino-américain fut donc fracassante mais sans doute cela suscita une grande curiosité qui amena le public de l’exposition !Viva el afiche! de Michel qui eut lieu quelques semaines plus tard à Montevideo. Il partage avec les graphistes qu’il expose à Fiesta Gráfica de nombreuses similitudes : passion pour l’affiche culturelle, vision sociale du graphisme, intérêt pour les échanges interprofessionnels et personnels, au delà des frontières… En 2020, cette relation d’homme à continent fêtera ses 30 ans.

notes

¹ Daniel Lefort est spécialiste de la culture américo-latine. Il a vécu de nombreuses années sur le continent et a un CV riche : directeur d’Alliance française à Buenos Aires, conseiller de coopération et action culturelle régional, Amérique centrale entre 1972 et 2012… notamment !

² Source : El Tiempo,21 de enero 2010, Archives

³ Extrait de Affichiste! Les Aventures de Michel Bouvet, par Daniel Lefort, Éditions Alternatives, mars 2019n

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