Gerrit Noordzij : du trait à l’écriture

Le graphiste et typographe néerlandais Gerrit Noordzij est décédé le 17 mars 2022. Il a conçu des affiches, couvertures de livres, timbres, pièces de monnaie et caractères. Professeur à l’Académie royale des beaux-arts de la Haye (KABK) de 1960 à 1990 et auteur de l’ouvrage “Le trait. Une théorie de l’écriture”, Gerrit Noordzij a accompagné de nombreux designers dans leur apprentissage de la typographie. À travers ses ouvrages, il a documenté sa pédagogie et a transmis son savoir en termes de conception de caractères.

De la reliure à la conception de caractères

Né en 1931 à Rotterdam, Gerrit Noordzij travaille d’abord pour l’entreprise de reliure de livres Van Rijmenam à La Haye. Après son service militaire, encouragé par le typographe Piet van Trigt, il part en 1955 étudier pendant six mois à l’Académie royale des beaux-arts de La Haye. En 1956, il commence à travailler pour la maison d’édition Querido basée à Amsterdam et réalise des couvertures de livres. Gerrit Noordzij crée aussi pour la maison d’édition Cotta les couvertures des œuvres complètes de Wilhelm von Humboldt, philosophe et linguiste prusse, fondateur de l’université de Berlin. L’éditeur AAM Stols fait aussi appel à lui pour son expertise en matière de typographie.

Gerrit Noordzij affirme avoir toujours eu un goût pour les lettres, avant même de savoir lire : “Déjà enfant, je réfléchissais aux moyens de créer des caractères. Quand j’avais environ deux ou trois ans, j’ai essayé de copier les lettres d’un journal, dans les marges du journal lui-même. […] J’ai toujours été fasciné par ces formes simples” précise-t-il.

Gerrit Noordzij, enseignant à l’Académie royale des beaux-arts de La Haye

Entre 1960 et 1990, Gerrit Noordzij enseigne la typographie et la conception de caractères à l’Académie royale des beaux-arts de La Haye. Il s’oppose à l’apprentissage par la copie de caractères et encourage ses élèves à expérimenter à partir de leurs propres créations. “Lorsque vous demandez aux élèves de copier les anciens maîtres, vous les obligez à détourner le regard de leur propre travail. Je voulais qu’ils gardent les yeux sur leur propre travail” affirme-t-il. Il encourage aussi l’usage de l’ordinateur dans la conception de caractères. La machine permettait plus de liberté en ce qu’elle donnait l’opportunité d’échapper à un certain contrôle que les fonderies comme Linotype et Berthold exerçaient. Celles-ci produisaient des fontes qui étaient uniquement compatibles avec leurs systèmes et machines.

À partir des années 1970, Gerrit Noordzij travaille pour l’éditeur Van Oorschot, pour lequel il réalise des couvertures, comme celles d’ouvrages de l’ethnologue JJ Voskuil et de l’écrivain Willem Frederik Hermans. Il pratique aussi la gravure sur bois, dessine, réalise des timbres et pièces de monnaie, écrit à la main l’acte d’abdication de la reine des Pays-Bas Juliana et grave l’inscription dans la pierre de la statue du poète et romancier Eduard Douwes Dekker Multatuli — sur le socle. De 1984 à 1996, Gerrit Noordzij édite pour ATypI, l’Association Typographique Internationale, “LetterLetter”, journal en anglais portant sur la typographie.

Gerrit Noordzij crée de nouveaux caractères, comme le Tret et le Ruit, pour ses propres élaborations graphiques : couvertures et textes de livre, affiches… L’un d’entre eux, le Ruse, est devenu une famille, la seule de Gerrit Noordzij, publiée par la fonderie The Enschedé de son fils Peter Matthias.

L’auteur de l’ouvrage “Le trait : une théorie de l’écriture”

Chercheur et auteur, Gerrit Noordzij publie plusieurs ouvrages portant sur ses théories en matière d’écriture. “The stroke of the pen: fundamental aspects of western writing”, initialement publié en anglais en 1982, est traduit en néerlandais en 1985 et en français en 2010. Dans cet ouvrage, Gerrit Noordzij affirme qu’il faut penser ensemble l’écriture manuelle et l’écriture dessinée, deux champs de recherche pourtant traditionnellement séparés (voir étapes: n°188, article de Caroline Bouige). Il s’intéresse au Romain le Roi : le caractère d’imprimerie reproduit l’écriture de Nicolas Jarry, calligraphe du cabinet du roi. À rebours des chercheurs ne portant attention qu’au trait d’un caractère, Gerrit Noordzij s’intéresse au blanc, la forme que les traits renferment, comme dans le cas du “o”, mais aussi l’espace qui sépare les lettres.

“L’écriture est fondée sur le rapport de proportions du blanc au noir. Les différentes sortes d’écritures, leurs différentes constructions, et leurs différents traits ne peuvent être comparés qu’à partir du blanc du mot, car toute comparaison suppose un point de vue d’où les comparer. Le blanc du mot est la seule chose que toutes les écritures ont en commun. […] La science en vigueur ne s’occupe pas du blanc du mot, mais du noir de la lettre. C’est ainsi que toute étude de l’écriture s’enferre dans des divergences superficielles, parce que le point de vue universel qui permet de comparer l’écriture manuelle et les caractères d’imprimerie n’est pas observable dans le noir de la lettre. Le noir d’un caractère d’imprimerie est tellement différent de celui d’une écriture manuelle qu’ils sont inconciliables en tant que points de vue” affirme Gerrit Noordzij dans “Le trait : une théorie de l’écriture”.

Le Gerrit Noordzij Prize, prix récompensant des typographes et dessinateur·trices de caractère porte son nom. Il est la première personne à le recevoir en 1966. En 2011, Gerrit Noordzij se voit aussi décerner le Laurens Janszoon Costerprijs, prix littéraire néerlandais. Le 17 mars 2022, Gerrit Noordzij meurt à l’âge de 90 ans.

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Source: etapes