L’émancipation du motion design, graphisme en mouvement

Longtemps dévoyé et perçu essentiellement comme une discipline isolée du design graphique, le Motion Design semble depuis quelques années entamer sa mue. Ce passage à l’âge adulte est le résultat d’un processus que l’on pourrait faire démarrer dans la deuxième moitié du 20e siècle et qui aurait subi un coup d’accélérateur soudain avec l’arrivée du tout digital à la fin des années 2000. Cependant, son histoire est bien plus complexe. Elle révèle en sous-bassement le rapport ambigu qu’entretiennent le design graphique et les designers avec la technologie.

Motion Design vs Animation

On pourrait faire démarrer l’histoire du Motion Design en même temps que celle du cinéma et introniser Méliès comme précurseur du genre, mais ce serait créer des ambiguïtés quant à sa différence avec le cinéma d’animation. Là où l’animation entretien un lien ténu avec le cinéma, de par son rapport au réel, à la temporalité, la narration et la production, le Motion Design est lui bien plus lié au design graphique. Il est avant tout un art de la métaphore, de la transcription en images d’une idée, de sa mise en mouvement. Le Motion Design n’a que faire du réel. Il est le fait de designers graphiques qui manient tout aussi bien la typographie, les formes et les couleurs. Ils sont avant tout des bidouilleurs et des truquistes qui regorgent d’idées pour contourner les contraintes. Ils utilisent aussi bien les technologies de pointe que les décors en carton-pâte et servent avant tout une idée, un condensé d’idée pourrait-on même dire. C’est pourquoi ils fonctionnent en équipe réduite dans une temporalité réduite, avec des moyens réduits.

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Les pionniers, de Saul Bass à Kyle Cooper

Bien qu’éloigné du cinéma, l’acte fondateur du Motion Design relie pourtant les deux disciplines. En 1955, Saul Bass, designer graphique, auteur de plusieurs affiches de films, invente la forme du générique que l’on connait aujourd’hui et donne ainsi un acte de naissance au Motion Design. Avec le générique de L’homme au bras d’or, il insuffle enfin un intérêt autre que purement informatif à ce moment du film. Très fortement influencé par le Bauhaus et le Constructivisme Russe, Saul Bass crée un assemblage de lignes en mouvement, comme autant de rappels au sujet du film, celui d’un apprenti batteur de Jazz et toxicomane. La typographie vient s’intercaler entre ces éléments graphiques, rythmée par la musique. Celle-ci devient dès lors un élément central du vocabulaire du générique. Elle l’accompagne, le rythme, lui donne un ton et permet de placer directement le spectateur dans une ambiance.

Graphisme, typographie, mouvement et musique. Saul Bass crée ainsi avec le générique de l’homme au bras d’or, ce qui sera le vocabulaire du Motion Design pour les prochaines décennies. Par la suite, il créera un grand nombre de génériques, dont ceux de la plupart des films d’Alfred Hitchcock, et réalisera même un film avant de revenir au design graphique. Nous pourrions également citer Maurice Binder, réalisateur des génériques de James Bond (celui fantastique de Dr.NO, qui nous fait penser au poème optique d’Oskar Fishinger), comme personnage central de cette époque.

C’est étonnamment au moment de la mort de ces deux monuments du Motion Design (Bass et Binder) qu’émerge une des figures essentielles de la discipline en la personne de Kyle Cooper. Cet américain formé à Yale par Paul Rand (éminent graphiste d’outre-Atlantique), va révolutionner le genre. Il est considéré aujourd’hui comme une référence majeure parmi les motion designers. Sa technique, complètement différente de ses prédécesseurs, introduit des éléments photographiques et vidéos au Motion Design. Auteur de pas moins de 250 génériques de films, il est surtout quelqu’un qui aime expérimenter et se définit comme un « créatif de l’accident ». Sa méthode, très artisanale, l’a conduit à redéfinir les techniques utilisées alors en Motion Design, arguant ainsi que la discipline est moins affaire de technique que de créativité. Parmi ses nombreux faits d’armes, le générique de Se7en (David Fincher) fait office de pivot et instaure ce changement de paradigme. Il réalisera plus tard ceux de Spider-Man 2, Dawn Of The Dead ou plus récemment, celui de la série The Walking Dead.

La généralisation du Motion Design et l’écueil de la technologie

Au mitan des années 2000, la généralisation d’internet et du web 2.0 instaure de nouvelles conditions. L’image animée, alors cantonnée au cinéma et à la télévision, trouve un nouveau terrain de jeu. Plateformes vidéo, réseaux sociaux, son utilisation s’étend et les agences de publicité se mettent à la recherche de personnes pouvant créer des contenus vidéo courts et percutants. Bingo ! Les motion designers, peu nombreux à l’époque, trouvent une place dans un circuit qui leur était alors fermé. De nombreux graphistes et studios de graphisme ayant flairé le coup, se mettent à animer leurs images. Seul hic, le motion designer lui-même. Considéré d’abord comme un technicien, il est cantonné à un travail portant essentiellement sur l’animation en 3D de graphismes qu’il n’a pas (toujours) conçu. « Les studios et les designers eux-mêmes ont fini par confondre Motion Design et 3D » nous confie Matthieu Colombel, président de l’association des motion designers français et créateur de l’agence Blackmeal. En effet, cette course à la technologie fait oublier l’idée que le motion design est surtout affaire de créativité et que tout « technologisme » omet le fait qu’une idée simple peut aussi être une (très) bonne idée.

Et comme à chaque fois que l’on est allé trop loin, revenir aux basiques semble être la meilleure solution. Aujourd’hui, certains motion designers et studios spécialisés reconsidèrent des techniques plus simples comme le stop motion par exemple. Ce retour aux sources est en partie dû à des contraintes de production (moins chronophages et couteuses que la 3D). Elles laissent également plus de latitudes aux motion designers pour s’exprimer et leur permettent de revenir à ce qui fait l’essence de leur métier, celui d’un instinct de la triche, du détournement et de la bidouille.

Une discipline émancipée

Aujourd’hui, les studios de motion design ont calqué leur logique sur celle des studios de design graphique. Affirmer une personnalité créative et technique est devenu le mot d’ordre et le monde regorge de studios plus inventifs et originaux les uns que les autres. Parmi eux, nous pourrions citer pêle-mêle Elastic, Imaginary Forces ou Prologue aux États-Unis, Territory ou Man vs Machine au Royaume-Uni, Moment Factory et Blackmeal en France… L’Asie et l’Amérique Latine suivent également cette tendance mais le travail en freelance est plus de mise, essentiellement du fait des logiques économiques propres à leurs territoires.

Les écoles de graphisme et les centres de formations spécialisés généralisent également l’apprentissage du Motion Design. C’est notamment le cas de Pyramyd Formation qui propose depuis 2018 un parcours certifiant Chargé.e de motion design, organisé en 6 modules, répartis sur 18 jours et étalés sur 5 mois. Des champs d’application du motion, à la préparation des médias avec Premiere Pro, Audition et After Effects,  en passant par la création et l’animation d’effets visuels, audios et la maîtrise des flux de production 3D avec After Effects, Cineware et Element 3D, cette formation éligible au CPF offre toutes les armes nécessaires pour devenir un Motion Designer aguerri.

Cette évolution des secteurs de la communication et de l’apprentissage est la preuve d’un intérêt croissant porté par les marques et les industriels à la communication par l’image animée. Des festivals éclosent un peu partout et certains comme Motion Motion (dont nous vous parlerons très prochainement) sont destinés au grand public, chose suffisamment rare et significative pour être soulignée.

C’est donc après un long chemin et plusieurs années à avoir été mis à l’écart que le Motion Design prend enfin sa revanche pour devenir aujourd’hui une discipline essentielle du design graphique.

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Source: etapes

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