Léré, le temps retrouvé

Léré est le nom d’une petite commune rurale du Cher, tranquillement installée en bord de Loire, à mi-chemin entre Bourges et Auxerre. Une commune comme il en existe des milliers en France. La particularité de ce bourg est qu’il a été choisi pour expérimenter une nouvelle forme de communication territoriale, anonyme, diffuse et discrète. Fruit d’un long processus débuté en 2012 à l’occasion d’un diplôme à l’ESAD Amiens, il a perduré jusqu’aujourd’hui en prenant des formes multiples. Son principe directeur, basé sur l’histoire et le patrimoine du village, offre alors un renouvellement constant aux formes, images et messages diffusés. Léré est donc d’abord un projet qui prend son temps. Un projet qui s’étale, qui s’éloigne des velléités contemporaines, pour s’adapter à une temporalité oubliée. Rencontre avec son instigateur.

Pouvez-vous nous expliquer ce projet ? Comment a-t-il été imaginé et qu’est-il aujourdhui ?

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Léré
constitue la pierre angulaire de mes origines familiales. La trace de mes
ancêtres remonte jusqu’à la révolution française, nom observé dans « Histoire
de Léré » de Arsène Mellot. C’est donc une histoire et un rapport familial très
fort qui existe entre ce village et moi. Cela constitue un point de chute, un
lieu d’une fiabilité inébranlable. Ce village, avant tout fréquenté pour ma
part pendant les vacances, a supporté et cristallisé tous mes changements
d’orientations, mes évolutions, mes questionnements, devenant ainsi un lieu
d’expérimentation.

J’ai commencé à véritablement produire des travaux à Léré en 2011, avec mes cousins nous avions décidé de nous réunir pour les grandes vacances. Ma tante y fêtait alors ses 60 ans, nous avons pris la décision de produire une affiche constituée uniquement du chiffre 60. C’est après cette première intervention que je me suis posé la question du sens de la forme graphique au sein d’un village, de ce village. Je venais alors de trouver ma thématique de diplôme : comment un village de 1200 habitants conçoit et intègre les notions de présentation, de diffusion et de restitution de son patrimoine ? En d’autres termes, quel pourrait être à ce moment-là l’identité graphique de Léré ?

J’ai rassemblé tous les documents photographiques que j’ai pu trouver de ce territoire, force est de constater qu’il a été énormément documenté, il est alors intéressant de confronter le même sujet à différents points de vue, à différentes périodes. Le fil conducteur est de percevoir tous ces documents comme une arborescence infinie d’images, les objets imprimés (dépliants, affiches et cartes postales) devenant alors des fragments, des prélèvements d’une partie de quelque chose de plus grand. ll s’agit de Léré qui parle de Léré en montrant Léré. C’est un territoire qui se regarde, s’interroge sur sa propre histoire, sur ce qu’il a été, sur ce qu’il est et sur ce qu’il pourrait devenir. Ces archives photographiques sont reliées à un chiffre qui va situer un évènement de ma propre histoire au sein du village. Tout a démarré avec le nombre 60. Lors de la production de la seconde affiche j’ai pris le chiffre 1 comme point de départ pour aller jusqu’à 10, une fois à 10 je suis reparti du 1 : par essence Léré crée de l’innovation dans la répétition.

Par ses individualités et la multitude de regards portés sur le même sujet, Léré se nourrit de lui-même pour renaitre indéfiniment.

Vous menez ce projet depuis plusieurs années, comment percevez-vous son évolution ?

Le diplôme m’a permis de développer des
réponses sur ce que pourrait être le langage graphique de Léré. Les outils
permettant cette mise en forme ne pouvaient pas seulement exister pour un seul
projet tant le champ des possibles est étendu. J’ai donc décidé de continuer,
de manière ponctuelle, à questionner le village sur ce qu’il est au travers de
ma perception, de mes interrogations et de mes problématiques graphiques du
moment, mettant à chaque fois ces notions et le projet en relation.

Vous dites justement que ce projet est
« hors du temps ». Pourquoi ?

Henry
Pierre Jeudy dans « Un sociologue à la dérive. Chronique d’un village. » nous
dit : « Souvent, j’ai l’impression de faire un effort pour aller au village, un
effort mental pourrais-je dire, je m’oblige à sortir de ma maison, sachant que
je vais rejoindre ce que j’imagine être un « autre monde ». Un monde qui me
fait oublier mes incertitudes existentielles parce qu’il se présente tel qu’il
est, dans cette immédiateté de la vie quotidienne qui s’offre comme un charme
hors du temps. »

Le projet n’est pas « hors du temps », c’est Léré qui est hors du temps. L’intervention est un marqueur pour rappeler que ce territoire est justement à contretemps du monde citadin.

Quel est l’avantage d’un projet aussi long ?

Comme une langue vivante, c’est le plaisir de
pouvoir constater la richesse et l’évolution du vocabulaire visuel qu’offre
Léré. Comment une image peut être utilisée d’une certaine manière en 2011 et
réapparaître autrement en 2018 ? On vient à Léré pour se retirer du monde,
paradoxalement ces affiches vont marquer notre visite pour ensuite se diluer et
disparaitre.

Quels sont les enjeux majeurs dans la
communication visuelle d’un village rural ?
Et comment y-avez-vous répondu ?

Le
développement d’une identité autour d’un village est une problématique très
particulière, de part la situation du territoire, de ses voix d’accès, de la
manière dont on y circule, dont on appréhende cette zone en tant que vacanciers
occasionnels ou dans mon cas lorsque l’on y vient régulièrement sans y habiter
à l’année. Tout cela est à mettre en parallèle avec celles et ceux qui vivent
le village au quotidien.

La justesse de l’intervention est primordiale, il s’agit d’exploiter au mieux les atouts du village sans que la forme graphique ne vienne polluer ce qu’est le territoire, une intervention trop visible serait contre-productive. L’exploitation de ses voix d’accès, que cela se fasse à vélo par La Loire, en voiture par les départementales et les nationales, en bateau par le canal font que le village est au centre de plusieurs flux. Les transfos EDF se situent à chaque extrémité du village, permettant un balisage, points d’entrées et de sorties. Frédéric Teschner, qui était mon professeur, parlait de « micro-architecture » que l’on va investir en utilisant leur propriété pour diffuser ce message sans empiéter sur le village lui-même. Donner l’envie de s’y attarder pour que chacun puisse l’appréhender à sa manière. Léré devient l’idée que l’on se fait de Léré. Susciter en chacun l’envie d’y trouver un point de vue singulier, propre à soit.

Les cartes postales synthétisent la notion d’arborescence et de prélèvement, en relation avec les différentes typographies relevées au sein du village : le 18240 est en Freestyle Script, typographie de la devanture du boucher « CHEZ JURANDON », lieux de rencontre et de vie, véritable institution locale. 18240 est écrit de cette manière pour ancrer un peu plus le projet dans un territoire.

Quand le projet a débuté, l’ESAD Amiens avait un partenariat avec Riso. Cette méthode de production rapide et en série reprend les principes de la sérigraphie. C’est une machine qui se destine à la production d’objets imprimés pour les collectivités. Le format proposé (A3) est en adéquation avec la taille des transfos EDF, il y a quelque chose d’harmonieux dans cette relation format / support. D’un point de vue financier cette solution semble cohérente par rapport à la problématique budgétaire qu’induit l’auto-production.

Léré est un nom intéressant autant dans sa prononciation que dans sa forme, on peut le décomposer de la manière suivante : Lé Ré, deux syllabes qui lançaient dans les airs résonnent et confèrent déjà un certain pouvoir de séduction. Léré c’est une signature, la revendication d’un patrimoine. Le fait de sortir de cette logique d’armoirie montre la volonté de s’inscrire dans une certaine démarche, l’idée du tampon, ici c’est Léré ! On revient à la force du signe qui appelle un ensemble. Léré ce n’est pas une marque, c’est une communauté. Pour les 60 ans de ma tante, au-delà de mon intervention, j’avais fait tirer 1000 autocollants de ce macaron de 4 cm de diamètre. Il est intéressant de voir les gens se réapproprier l’objet, sur leur téléphone, même pour certain sur leur plaque minéralogique à la place du département, pour en retrouver à des endroits improbables comme dans des trains. Le typogramme Léré s’est peu à peu effacé, il existe toujours sous forme de macaron mais n’est plus présent sur l’affichage. Le langage graphique est suffisamment éprouvé et identifié pour dire Léré sans le noter.

C’est ici une partie des enjeux de l’identité d’un village rural, ce n’est pas une recette, ce qui marche pour Léré ne marchera pas pour la commune voisine, cependant cela constitue des questions de base lorsque l’on s’attaque à ce projet.

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Comment le projet a-t-il été reçu et perçu dans le village ?

Nous
sommes dans une anonyme notoriété, mon identité et celle de mes camarades est
un secret de polichinelle cependant il est primordial de placer le projet avant
ceux qui le font. Le travail graphique est au centre de la démarche, dans tout
ce que cela comporte. C’est notre manière de voir Léré, avec ceux qui adhèrent
et ceux qui n’adhèrent pas, avec les questions que cela soulève. Dix ans après
la première affiche il y a une forme de tradition et de protocole autour de ces
interventions visuelles. J’aime à croire que cela fait maintenant parti de son patrimoine
et de sa singularité.

Quels supports avez-vous investis et
pourquoi ?

Comme expliqué plus haut Léré a parfaitement su exploiter ses voix d’accès, ouvrant le village vers l’extérieur. Le dépliant est le meilleur moyen de parler de la richesse du territoire, d’abord son histoire. Nous avons la chance d’avoir plusieurs ouvrages sur Léré écrit par Arsène Mellot, ensuite on y trouve son actualité, culturelle et associative. On ne perd jamais de vue la notion de communauté qui donne vie au village. Le dépliant d’un point de vue graphique doit rendre compte de la singularité du territoire, que cela soit dans son architecture, dans son histoire, mais aussi des différentes personnalités qui le constitue. On doit montrer Léré dans une situation géographique, un village c’est un point dans un environnement, un département, une région.

La carte postale est une image, c’est aussi un objet de mémoire, c’est un objet qui voyage, potentiellement le second ambassadeur de Léré après ses habitants. Cet objet rend compte, grâce au prélèvement photographique qu’il effectue, de l’architecture et de l’environnement. On entretient le fantasme de Léré.

Il y a aussi eu les macarons Léré, cependant l’objet qui synthétise et qui va lier dépliants et cartes postales est l’affiche. Intervention la plus visible, c’est ce qui va interpeller, de manière frontale, c’est un signe qui indique et guide tout en donnant à voir, mêlant nostalgie, ressentiment et subjectivité du point de vue au service de l’expérience du village.

Ce projet semble bâti sur la notion de sérialité. Quel effet souhaitez-vous atteindre grâce à ce procédé ?

La série à cette double fonction d’exister
seule mais également ensemble. C’est toute la genèse de Léré : des
individualités au service d’un projet commun, d’un bâtit et de son histoire.
Ces affiches sont autant de chapitres sur le temps qui passe et la manière de
le vivre en zone rurale. J’aimerai que ces productions ne cessent jamais, que
cela me dépasse pour exister de façon autonome dans une série infinie.

Starring : Denis, Daniel, Jacqueline, Sylvie, Catherine, Noêl, Cécile,  Élise, Alice, Jon, Anne-Sophie D, Anne-Sophie F, Baptiste, Aloïs, Thibaut, Julien, Benjamin C, Benjamin A, Lou, Marine D, Marine G, Henri, Paul P, Océane, Magali, Anne, Ana, Nina et surtout Jean-Pierre, Paul et Pascal.

Remerciements à Susanna Shannon, 
Travail dédié à Marie-Jeanne Manuellan

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Source: etapes

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