L’ex chroniqueuse du New York Times, Alice Rawsthorn, explique comment le design peut changer le monde pour le mieux

Le festival Design Indaba, porté par la devise « a better world through creativity », s’est déroulé à Cape Town du 27 février au 1er mars dernier. L’équipe d’étapes: y était et vous propose une sélection de projets, témoignant de la profusion créative et de l’éclectisme de l’évènement.

La critique, autrice influente et conférencière primée du monde du design, Alice Rawsthorn, s’est livrée à étapes: sur l’actualité du design. La sortie de son dernier livre Design as an Attitude, conçu comme un guide du design contemporain, est l’occasion de discuter autour des dangereuses répercussions et de l’essence même de la pratique. Du good design au bad design, il n’y a qu’un pas.

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Pendant 11 ans, vous avez écrit une rubrique hebdomadaire pour le New York Times. Aujourd’hui, on peut vous suivre dans le magazine Frieze. Depuis toujours, vous tissez dans vos écrits un fil conducteur : montrer le design comme un prisme au travers duquel aborder et analyser un panel de problèmes sociétaux.

J’ai été incroyablement chanceuse de découvrir le design alors que j’étais étudiante à Cambridge à la fin des années 1970. Tout à commencé avec des copies importées du magazine Domus, édité par le designer et théoricien visuel, Alessandro Mendini. Il y décrivait le design comme une discipline riche, éclectique et dynamique au carrefour du politique, de l’art, de la psychologie, de la littérature, du cinéma, de la mode, de la musique, de l’activisme et de tellement d’autres sujets que j’adorais à l’époque. C’est de cette manière que je pense et que j’écris sur le design depuis.

Présente au Festival Design Indaba, vous avez donné une conférence où vous démystifiez le design. Quelle est l’importance de ce genre d’évènement pour le monde du design ?

Il y a d’innombrables festivals, biennales, triennales et autres évènements dédiés à cette discipline. Leur qualité, quant à elle, varie grandement. Les meilleurs évènements jouent un rôle important dans la culture du design en favorisant le débat et en partageant des idées plurielles. Design Indaba y contribue de façon tout à fait particulière en créant un espace dédié aux débats en Afrique du Sud. Il inclut les designers africains aux discours internationaux et partage leurs expériences au reste du monde. J’ai découvert de nombreux designs inspirants là-bas.

Design as an attitude Alice Rawsthorn étapes:

Pendant votre conférence à Design Indaba, vous avez donné de nombreux exemples de « bad design ». Les designs inutiles comme les Google Glass, les paresseux que sont les produits impossibles à recycler, les irréfléchis, les menaçants, les offensants dont fait partie la Barbie Frida Kahlo, les indignes de confiance illustrés par l’obsolescence programmée d’Apple et les stratégiques avec les installations anti sans-abri. Pourquoi devons-nous leur porter plus d’attention ?

J’ai toujours trouvé étrange que le design soit majoritairement présenté et discuté comme étant bon et positif. En réalité, la plupart des projets sont profondément médiocres et beaucoup sont carrément mauvais. Aussi, le mauvais design a tout autant, si ce n’est plus, d’impact dans nos vies que le bon, et réparer les dommages qu’il cause peut être extrêmement coûteux en termes d’argent, de temps, d’énergie et de réputation. Le seul moyen de minimiser notre exposition au mauvais design est de le comprendre, parce que le plus nous apprenons sur lui, le mieux nous pourrons vivre sans lui.

Est-ce possible de trouver une forme de plaisir (peut-être pervers) au bad design ?

Le mauvais design a évidemment un aspect comique qui fascine. À chaque fois que j’écris sur le bad design, la réception est excellente. C’est notamment le thème de la plupart de mes plus populaires rubriques du New York Times et de mon dernier livre Design as an Attitude. Je soupçonne que la grande partie de ce plaisir réside dans l’envie d’assister à la chute des riches et des marques internationales puissantes qui font des erreurs de jugements fatales, à l’instar de Google versant une petite fortune dans les feues Google Glass.

Design as an attitude Alice Rawsthorn étapes:

Lequel des exemples abordés lors de la conférence à Cap Town vous est le plus intolérable ?

Le design le plus préjudiciable est de loin le colossal projet de reconstruction post-conflit financé par le gouvernement néerlandais à Uruzgan, région reculée de l’Afghanistan ravagée par des décennies de guerre. Les Pays-Bas ont conçu et construit des milliers de nouvelles maisons, d’écoles, de cliniques, de mosquées, de routes et un aéroport. La moitié de ces constructions est à peine fonctionnelle et conduit donc à des conséquences d’autant plus désastreuses pour les locaux qui ont déjà beaucoup souffert. Par ailleurs, le design qui a semblé le plus choquer le public de Design Indaba était le hoodie Burberry, présenté à la Fashion Week de Londres, dont l’attache au cou est remplacée par une corde nouée. Certains ont couvert leur visage d’horreur.

Les designers doivent-ils s’intéresser de près au bad design pour s’interroger sur ce à quoi le good design doit ressembler ?

Sans aucun doute. Les designers doivent étudier les exemples de bad design pour comprendre ce qui n’a pas été et pourquoi. Sinon, ils continueront à faire la même erreur que leurs prédécesseurs, encore et encore. Tous les designers talentueux que je connais abordent leur projet comme un exercice en faveur de l’apprentissage. Ils acceptent que faire des erreurs est une part inévitable des processus d’expérimentation et que cela peut être quelque chose à utiliser de façon constructive.

Dans votre dernier livre Design as an Attitude, vous avez décidé de démolir les stéréotypes du design en célébrant son pouvoir de « changer nos vies pour le meilleur ».

Malheureusement, le design est depuis longtemps la proie de nombreuses confusions, clichés et mauvaises interprétations, dont beaucoup lui sont profondément préjudiciables. Nombreuses sont les personnes qui perçoivent encore le design comme un outil superficiel, de promotion, axé sur l’apparence plutôt que sur la substance, et comme une des raisons pour lesquelles tant de déchets plastiques empoisonnent nos océans, plutôt que comme un moyen de les nettoyer. Cette attitude est en train de changer, mais trop lentement.

J’espère que de plus en plus de personnes abandonneront ces clichés obsolètes sur le design et reconnaîtront son potentiel d’agent de changements, qu’ils soient sociaux, politiques, culturelles, environnementaux ou scientifiques. À une époque extrêmement turbulente et périlleuse, où nous faisons face à tellement de changements sur tellement de fronts, nous avons désespérément besoin de tirer le meilleur parti du design, non pas comme une panacée à nos problèmes, mais comme un outil remarquablement puissant qui peut nous aider à forger un avenir meilleur.

Design as an attitude Alice Rawsthorn étapes:

Alors, que doit être l’essence du design contemporain ?

Le good design est composé d’une combinaison de qualités qui changent constamment, reflétant des changements plus larges de la société. Pour autant, il y a deux composantes non négociables au good design d’aujourd’hui : il doit toujours remplir sa fonction et se doit d’être éthique et responsable. Toutes les autres qualités qui peuvent rendre le design attrayant et excitant – comme être beau à regarder et à toucher, ou incroyablement novateur – sont facultatives.

Dans votre livre, écrit comme une série d’essais, vous mettez en évidence les jeunes designers qui travaillent de façon indépendante. Pourquoi et comment pensez-vous qu’ils puissent réussir à « libérer le design de son rôle commercial et à le redéfinir comme une discipline éclectique de l’instinct, de l’ingéniosité et de la débrouillardise » ?

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Design as a Attitude explore comment une nouvelle génération de designers utilise des outils numériques basiques et peu coûteux pour travailler de manière indépendante dans la poursuite de leurs propres objectifs sociaux, politiques et environnementaux. Ils collectent des fonds auprès de plateformes de financement participatif, sensibilisent et débusquent des collaborateurs sur les réseaux sociaux et gèrent d’énormes quantités de données complexes sur des ordinateurs abordables. Ces technologies ont transformé la pratique et les possibilités du design, et ont permis à des designers ambitieux et plein de ressources de favoriser des changements significatifs. Tout ça est très excitant.

Quels sont vos designs environnementaux, sociaux et politiques favoris ?

Il y a tellement d’exemples parmi lesquels choisir que je n’ai que l’embarras du choix.

Un de mes designs social préféré est le Sehat Kahani, un service télémédical conçu par deux docteurs pakistanaises : Sara Khurram et Iffat Zafar, pour remédier à la pénurie des femmes médecins au Pakistan. 3 médecins sur 4 diplômés sont des femmes, mais la grande variété d’entre elles sont obligées, du fait de la pression sociale, d’abandonner leur travail pour se marier ou concevoir un enfant. Sara et Iffat ont échafauder Sehat Kahani pour permettre à ces femmes docteurs de travailler de la maison par le biais d’entretiens live et vidéo. Elles diagnostiquent les patientes présentes dans les cliniques des villes et villages du Pakistan. Les infirmières locales, quant à elles, assurent la liaison et la prise en charge des traitements. Il y a un impact évident sur l’accès et la qualité des soins de santé pour ce grand nombre de femmes pakistanaises qui préfèrent ne pas être soignées par des hommes.

Ore streams étapes:

En designs environnementaux, le projet Ore Streams, recherche de design en cours menée par les designers italiens Simone Farresin et Andrea Trimarchi de Studio Formafantasma. Ils cartographient et planifient le commerce mondial gigantesque, et souvent illicite, des communications électroniques et des déchets numériques. En plus de documenter les transferts des déchets d’un pays à l’autre pays, ils interviewent des recycleurs, des fabricants, des scientifiques, des politiciens, des écologistes et même des agents d’Interpol pour évaluer son impact social et économique. Andrea et Simone ont également identifié des moyens par lesquels les concepteurs peuvent prendre des mesures pratiques pour que leurs produits soient plus rapides et plus faciles à recycler de manière responsable. Un exemple simple consiste à cesser d’utiliser du caoutchouc noir pour recouvrir un fil de cuivre dans les produits électriques et numériques. Comme la couleur noire ne peut pas être détectée par le capteurs optiques dans les usines de recyclage, le fil de cuivre précieux et recyclable sera envoyé à la décharge ou à un dépotoir numérique illégal. Pour poser le problème dans son contexte, moins d’un tiers des appareils numériques abandonnés chaque année dans l’Union européenne sont recyclés de manière responsable.

Je perçois Sehat Kahani et Ore Streams comme du design intrinsèquement politique.

Design as an Attitude montre votre engagement en faveur de la recherche et des nouvelles technologies, pour un design qui aide le plus grand nombre et porté par les minorités (femmes, LGBTQ+, racisés etc…). À quoi ressemblerait votre pratique d’un design rêvé ?

Je ne suis pas certaine que cela se produise, mais j’adorerais que le design soit utilisé à son plein potentiel pour aider à rendre le monde plus juste, équitable, gentil, libre, heureux, progressiste, éclairé, prospère et méritocratique.

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Source: etapes

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