Talents en Action : À la découverte d’AAAAA

Talents en Action part à la rencontre de la jeune génération de créatifs français et les disciplines du design graphique. Une rubrique en partenariat avec Adobe. Retrouvez les travaux d’AAAAA dans le n°256 d’étapes:.


Non, AAAAA ne signifie pas seulement Association amicale des amateurs d’andouillette authentique. C’est aussi le nom choisi par Marie Sourd et Léopold Roux pour leur studio de graphisme. Typographies expressives, couleurs vives, illustrations et humour forment la recette des deux comparses depuis 2013. Le tout, relevé d’une touche d’inspiration DIY, d’un esprit un peu punk et de références obscures, les place dans une zone où peu de studios actuels peuvent se positionner. Mais ce savoir-faire et cette latitude ne se sont pas manifestés du jour au lendemain. C’est ce que nous avons cherché à savoir en rencontrant AAAAA dans leur studio de la banlieue parisienne pour ce nouvel épisode de Talents en Action.

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Étapes : Pour commencer, j’avais une question sur le fonctionnement de votre duo. Vous avez très certainement une vision commune de ce que vous voulez proposer, mais il y a aussi des individualités qui ressortent. Qu’est ce qui est plus du ressort de Marie ou de Léopold dans le fonctionnement du studio ?

Marie Sourd : Au début, la différence entre nous deux était assez nette. J’ai commencé dans l’édition jeunesse, je baignais donc dans un univers illustratif très coloré. Léopold lui, a toujours été intéressé par la typographie et le graphisme. Je pense que ça se voit encore aujourd’hui. Ce mélange est encore présent dans notre travail. Un côté illustratif, presque naïf, très gai, et un autre plus technique. Après, Léopold a réalisé des illustrations plusieurs fois ces derniers temps ! On aime bien échanger les rôles, on essaye de brouiller un peu les pistes, on ne cherche pas forcément à garder le même système.

Léopold Roux : Parfois, dans cet échange des rôles, tout fonctionne assez bien, les choses se font naturellement. C’est un exercice qui permet d’avoir du recul. On arrive avec deux pistes qui malgré leurs différences sont assez homogènes, avec un lien évident entre les deux. Ce sont en général de très bonnes expériences.

M : Après, il y a certains livres dont on voit très bien que c’est moi qui ai réalisé l’illustration. Puis pour des travaux pour Le Monde ou le CNES, on voit que c’est Léopold qui est à l’œuvre.

Couvertures pour la maison d’édition chinoise Beijing Imaginist

E : Ça dépend donc du type de projet, de sa deadline ?

L : Oui, mais aussi de la disponibilité et de l’affinité qu’on a avec le client. On a tendance à s’habituer. Parfois, comme pour le cabinet d’avocats Desfilis, après 4 ou 5 années où j’ai réalisé leurs cartes de vœux, Marie s’en est chargé. C’est important aussi d’insuffler quelque chose de différent. Même si on est seul sur un projet, le regard et l’influence de l’autre se ressent. Je pense que plus on avance dans le temps, plus on sent cette double influence permanente.

M : Oui on a l’habitude de notre mélange, on sait comment on peut fonctionner.

L : On fait rarement un projet où il n’y a que du graphisme, qu’une illustration… Il y a toujours quelque chose de complémentaire. Par exemple quand on prend une typographie isolée, il y a quand même du dessin. Ce qu’on remarque finalement, c’est que le dessin est omniprésent dans tout ce qu’on fait. C’est ce qui fait la patte de l’atelier. Même quand on travaille avec d’autres illustrateurs, ça fini par nous ressembler quand même. Notre style, c’est devenu ça.

Direction artistique pour Le Grand Livre de la Boxe aux éditions Marabout

E : Et comment est venu ce style ?

M : Au début, on avait moins de projets donc on faisait tout ensemble. Les choses se mélangeaient forcément. Très tôt, nous avons eu besoin de mettre notre patte. À l’époque, on travaillait pour des éditions jeunesse et en même temps, on réalisait des pochettes de Black Metal. Ça nous a toujours fait rire de se dire que sur notre site il y aura ces deux facettes. Je pense qu’on a toujours un peu fonctionné dans cette idée de mélange décalé.

E : Est-ce que ça ne vient pas aussi de ce qu’on
pourrait qualifier de « l’agilité de l’illustrateur de pochette de métal »,
capable de réaliser un travail très détaillé, minutieux, presque artisanal ?

M : Oui il y a un peu quelque chose en rapport avec ça, avec cette idée de l’artwork.

L : On nous dit souvent que ce qu’on fait est assez varié, mais c’est parce que nos sujets sont variés. Dès le départ, on s’était dit que n’importe quel sujet mérite un bon design. On essaye donc de se dépasser sur des choses très variées.

M : C’est vrai qu’on aime bien que les visuels soient entiers.

Artwork en sérigraphie pour la K7 audio du groupe Accès de Faiblesse paru sur CROUX Records
Presse Lino artisanale utilisée pour les pochettes de cassette audio

E : Ce qui donne généralement des images assez détaillées, mais en même temps très lisible. Il y a un impact assez fort.

L : En général on travaille avec des idées assez symboliques. Il y a un concept fort qui est au milieu de l’affiche qui est ensuite décliné sur autant de supports qu’il faut. Il y a une idée, parfois très simple mais justement, c’est ce qui fait que ça fonctionne.

E : Justement au niveau du dessin, d’où proviennent vos
influences ?

M : Le dessin, c’est quelque chose que j’ai toujours voulu faire. Je ne savais pas ce qu’était le graphisme, je voulais être dessinatrice. Les premières choses qui m’ont attirées était des couvertures de livres. C’est la première chose que j’ai faite, tantôt en tant qu’illustratrice, tantôt en tant que graphiste ou les deux en même temps. Par la suite on m’a demandé d’en faire de plus en plus, toujours avec ces deux casquettes. Et puis c’est vrai que comme on a commencé en créant des pochettes d’album, je pense qu’une sorte de système s’est mis en place, un peu en rapport avec l’artwork, de créer des visuels rock-n-roll et « entiers », avec une image forte et une typo expressive, qui va avec et dans le dessin.

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E : Est-ce que vous pourriez vous définir picturalement ?

L : Je dirais quelque chose de faussement naïf.

M : Oui, j’aime bien intégrer de l’humour dans ce que je fais, des détails amusants, un œil qui part en vrille par exemple, je trouve ça marrant ! J’aime bien les traits très simples. Je ne dirais pas que ça vient de la BD parce que je ne suis pas du tout passionnée. Je commence seulement à m’y intéresser à vrai dire.

Illustrations pour la carte Bellevillemontant du Foodmarket

E : Ça vient plus du fanzine, de l’underground ?

L : Oui, moi ça fait partie de ma culture, j’ai toujours lu Metal Hurlant, des choses comme ça. J’ai toujours aimé les trucs kitsch avec des typos 3D. Quand tu prends ça, que tu le sors de son contexte en l’adaptant à un autre sujet, c’est là que ça devient amusant, que ça devient du design.

M : Je crois aussi que ça vient du vernaculaire, des vieux logos, des choses un peu kitsch dans lesquelles il y a un dessin incroyablement parfait avec des formes géométriques très simples et en même temps un petit truc fait main…

L : Surtout de l’ornement. On est dans un moment où le design est très conceptuel, où rien n’est laissé au hasard, rien n’est gratuit. Je pense qu’on fait un peu l’inverse justement. C’est bien le Corbusier, mais on aime bien aussi les petites corniches avec des petites fleurs, ça a aussi son charme et on l’a un peu perdu. C’est chouette de rejouer avec ça.

M : On aime bien ajouter des petites blagues, des choses qui ne servent à rien…

L : Le modernisme aseptisé a fait son temps, on a envie d’autre chose.

M : En tout cas, ce n’est pas vraiment notre truc !

À gauche : affiche réalisée pour le film Voyage en Kabylie
À droite : affiche de Vincent Perrotet

E : Ça se sent dans vos iconographies justement. À ce propos, elles proviennent d’où ?

L : De vieux livres, de livres de collections d’objets, des livres de gravures où tu peux faire des petit cabochons marrants… On aime bien les almanachs de vieilles entreprises, avec des vieux logos. Il faut toujours qu’il y ait quelque chose d’amusant ! Je pense que l’ornement nous définit assez bien finalement. Il faut qu’il y ai un geste gratuit, mais chouette.

M : Je dirais qu’on ne s’inspire pas d’une chose en particulier mais de plusieurs, pas uniquement de choses nobles justement.

E : Sur votre utilisation de la typographie, il vous arrive d’en dessiner, est-ce que c’est quelque chose que vous souhaitez développer davantage ?

L : J’ai déjà développé des typos mais ça reste une activité en marge. On réalise beaucoup de lettrage par contre et on a l’habitude de modifier souvent les typographies qu’on utilise. Mais lorsque l’on a vraiment besoin de développer une fonte, on passe par Jerémie Landes de Studio Triple, avec lequel on conçoit des caractères, qu’il améliore par la suite.

M : Oui, ce n’est pas notre métier.

L : On fait plus de logotypage, de titrage…

À gauche : affiche par la maison d’éditions Colophon
À droite : exemplaire du Sunday Times

E : Comment vous choisissez les typographies que vous utilisez ?

L : On a un peu nos petites fonderies préférées. Si on peut avoir des typos de Jeremie en avant-première c’est encore plus la classe ! Sinon celles qui nous correspondent bien, ce sont Ohno Type fonderie, à Oakland, qui développent des choses très vernaculaires. Ils ont commencé en créant des nouvelles versions de typographies de Lubalin et au fur et à mesure, se sont modernisés. Ça nous correspond bien, c’est-à-dire que même quand ils font une Grotesk, très moderne, il y a un plein et un délié. Il y a toujours un geste fort en fait.

M : Ils ont fait une version de la Hobeaux qu’on adore ! Future fonts aussi font des choses intéressantes.

L :  Et puis on a nos saisons. Il y a quelques années, on utilisait beaucoup de fontes de Production Type, Future fonts, Ohno Type, A is for Apple aussi, qui fait des choses très bien. On utilise toujours des typos assez marquées, avec du style. Pas une typo invisible, il faut qu’il y ait quelque chose de fort qui en ressorte.

M : Sauf quand on doit avoir du texte courant comme pour les Presses de Sciences Po.

L : Oui, mais la typographie de titrage doit être forte, évidente. Il y a toujours un geste, ce n’est jamais froid. Même si on fait une maquette un peu Suisse, il y a toujours du dessin.

Affiches riso réalisées pour la soirée du label Croux Records

E : Vous dites que vous aimez tenter des choses différentes, mais est-ce que vous utilisez tout de même certaines recettes ou vous sortez systématiquement de votre zone de confort ?

M : Quand je dois faire un projet avec une majorité d’illustration, j’aime bien essayer autre chose. Par exemple, je vais utiliser de la gouache alors que je n’en ai pas fait depuis longtemps. Dernièrement, j’ai eu une petite période au feutre par exemple…

L : Moi je fais ça avec les logiciels. J’essaye de trouver de nouvelles écritures, d’utiliser des bugs, ou d’autre matériels. Il y a quelques années on faisait des bitmaps partout, puis c’est devenu un style, l’objet d’expérimentations, de distorsions… Aujourd’hui, le fait d’avoir quelqu’un dans l’atelier qui fait de la 3D peut être l’occasion de tester de nouvelles choses amusantes. L’interactivité aussi nous intéresse. On a quand même un super développeur à qui on peut faire faire des choses marrantes.

De gauche à droite : Série Collectors pour les éditions 10/18 et Pocket / Le Grand Livre de la Boxe aux éditions Marabout  / 42e Rue par Laurent Vallière aux éditions Marabout / Bières Tête de Chou

E : Justement les sites web représentent une grosse part de vos travaux ? Ou tendent à le devenir ?

L : Pas vraiment… Je n’’aime pas trop les concevoir, mais je trouve ça quand même intéressant !

M : Ça vient souvent en complément, dans le cadre d’une identité globale. Je ne dis pas qu’on ne s’amuse pas sur la forme. Hugo, le développeur avec qui on travaille, n’aime simplement pas trop faire des sites banals… C’est un bidouilleur surtout.

L : Le site qu’on a fait pour le Palais de Tokyo, vu que c’est un site artistique, expérimental, il s’est amusé. Ce sont avant tout des défis. C’était un projet très chronophage, mais ça ne lui posait pas de problème étant donné des enjeux techniques et créatifs qu’il y avait. Nous avons réalisé un autre site pour Tomás Saraceno (ndlr. Artiste contemporain argentin), pour l’exposition « Princesse des Villes », qui est à la limite du jeu vidéo. Ce sont de chouettes expériences, mais on ne parle presque plus de site internet, on est dans le domaine de l’expérientiel.

À gauche : pochette Vinyle réalisée pour le groupe de Black Death Metal Vortex Of End
À droite : pochette pour le groupe Vorkreist

E : Je voulais aborder aussi votre rapport à la musique et la création graphique. C’est par là que vous avez commencé, mais est-ce que ça se ressent encore aujourd’hui ?

L : Je pense que ça ne nous quittera pas. On continue à écouter beaucoup de musique, à collectionner des vinyles. On continue à enrichir notre univers visuel de ces influences là…

M : On va voir moins de concerts qu’avant, maintenant qu’on a un enfant.

L : Je pensais justement au kitsch. Autant dans la BD, ça se retrouve beaucoup, mais dans le métal, ça reste le summum ! On y retrouve quelque chose de naïf mais en même temps avec un geste hyper fort et assumé qui rend la chose belle. Quelque chose de très direct finalement. Je pense justement que c’est ça qui se retrouve dans notre travail. On n’est pas forcément dans la demi-mesure. On a une idée et on la pousse à fond, jusqu’au bout. Souvent, on ne propose qu’une seule piste au client, mais elle est travaillée jusqu’au bout.

Livre Analog Black Terror par Metastazis

E : C’est assez exigeant aussi comme façon de travailler.

L : Oui, il y a toujours une certaine rigueur dans la typographie, le dessin, la composition… Ce n’est pas n’importe quoi ! C’est très travaillé, jusque dans le moindre détail.

M : Mais avec une idée un peu bête à la base !

E : Est-ce qu’il y a une évolution dans le style de
la pochette de métal ou est-ce que ça reste assez traditionnel ?

M : Ça change assez souvent.

L : Alors en ce moment, je dirais qu’il y a une régression… C’est drôle, les groupes des années 2000 ont essayé de se moderniser, de faire des pochettes roses avec des dégradés… Il y a également une volonté de retourner aux sources qu’on retrouve beaucoup en ce moment. Même dans le rap en fait. Par exemple, Run the Jewels ont des visuels à l’ancienne. Je pense qu’on a besoin de retrouver un vrai son d’instrument, tout comme un vrai dessin, des choses tangibles.

M : C’est bon signe parce que ducoup l’artwork avec un grand A revient aussi.

L : Le retour du vinyle en dit long…

M : Et des posters, pendant les concerts, l’affichage sauvage…

L :  Oui des choses qui avaient disparues reviennent… C’est cyclique, comme d’habitude. J’ai l’impression qu’on arrive peut-être au bon moment !

Direction artistique pour le livre Paul Bocuse Héritage aux éditions Flammarion

E : Est-ce que dans les studios actuels, il y en a qui vous inspire plus que d’autres ?

L : Oui il y en a qui nous font rire, comme l’Atelier Tout Va Bien par exemple.

M : On est un peu dans notre bulle à vrai dire !

L : Ha oui, il y a La Brigade Cynophile ! L’influence de la musique ou le côté vernaculaire font qu’on se retrouve un peu dans ce qu’elle fait… Il y a toujours beaucoup d’humour aussi. On fait ça différemment bien sûr, elle a un côté plus collage par exemple, que je trouve hyper chouette.

M : Après, on adore Arrache Toi Un Oeil par exemple. Ils font des affiches de concerts. On est aussi un peu dans cette veine là, ce côté underground.

L : Oui on a aussi plein d’amis qui font des choses sérigraphiées pour des concerts de rock… Ce sont peut-être plus nos références que des choses de graphisme. On regarde aussi peut-être plus des illustrateurs que des graphistes.

M : J’avoue que je ne suis pas vraiment à la page sur ce qui se passe en ce moment !

L : Oui c’est vrai. Par exemple on a fait une affiche pour le Centre Pompidou Metz et plus tard, j’ai vu une affiche d’Annete Lenz, très ressemblante, avec un même système de couleurs… C’est la vie après tout, elle n’a pas le monopole du jaune ! (rires)

Cartes de voeux pour le cabinet d’avocat Desfilis

Découvrez Knight, la créa d’AAAAA pour Talents en Action

Dans ce numéro, Étapes s’associe à AAAAA pour concevoir une création originale à partir des logiciels Adobe Creative Cloud Illustrator et Photoshop, du service Adobe Font et du fonds iconographique Adobe Stock. AAAAA a réalisé une création sur le thème « Goth moderne », une des Tendances visuelles 2020 d’Adobe.

Découvrir les dessous de la création de Knight.

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Source: etapes

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